Le premier de la classe ouvrière

Publié le par Maître le Chauve

Mon chef à la prépa, c'est Marc; un autre que celui de la banane. Je suis en train de trier des clémentines, et il me rejoint pour me filer un coup de main. Tout en triant, on se met à discuter.

- C'est plus tranquille que la banane, hein ?

- Carrément, et puis c'est moins décérébrant.

- Tu faisais quoi, avant ?

- J'étais en master de linguistique.

- Ah ouais. Ben, qu'est-ce que tu fous là, alors ?

- Ben, j'ai raté le concours de bibliothécaire, encore, et en attendant de retenter l'an prochain, j'ai faim.

- Ouais, je vois. Moi, c'est un peu la même, j'ai un BTS en imagerie, mais je trouvais pas de boulot, et du coup, je suis ici.

- Depuis combien de temps t'es là ?

- Quatre ans, à peu près. Je commence à en avoir marre, mais bon. Et puis ça va, la prépa c'est tranquille.

- Plus qu'à la banane, c'est sûr.

- C'est sûr. La banane, c'est vraiment débile. Et puis les gars sont pas intelligents.

- Comment ça ?

- Ben, y a des mecs, à la banane, ils savent ni lire, ni compter. Je te jure, une fois, je dis à un mec qu'on a une commande de 120 colis, il me demande combien ça fait de palettes, alors que les palettes sont toujours de 30 colis. Tu vois, le mec, pas foutu de faire 4 fois 3.

- D'un autre côté, tu veux qu'il fasse quoi, comme boulot, s'il ne sait ni lire ni compter ? Lui aussi, il a faim. Quelque part, on lui pique son boulot. On a rien à foutre ici.

- Ouais. Ouais, remarque, ouais.

 

De ce que j'ai vu, parmi les salariés, Marc, avec son BAC pro et son BTS, est celui aux études les plus poussées.

Plus tard dans la journée, il m'a dit de préparer deux commandes de clémentines avec une palette pleine de 85 colis.

- Alors, une commande de 52 et une de 22, ça va faire... Ouais, il restera qu'un seul colis.

- Non. 52 et 22, 74, il restera 11 colis.

- Euh... Ah bah ouais.

 

Je te dis, y a des mecs, ils savent pas compter, même pas foutu de faire une addition.

Publié dans Portrait

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article