Antoine

Publié le par Maître le Chauve

Putain, mais ils se pressent pas, les mecs, là, la table est pleine, c'est pas possible, ça. Va falloir qu'ils en mettent un coup, sinon on aura pas fini avant 21h.

Ah oui, là, on en a au moins jusqu'à 20h30, de toute façon, je dirais.

Ben hier, on a fini à, quoi, 19h ? et on avait 1.900 colis ; aujourd'hui, on en a 2.400. Et demain, c'est pareil.

La boîte a pris quatre nouveaux clients, du coup, plus de commandes, et plus de boulot.

En fait, il nous faudrait une machine de plus, ou faire les trois 8, je sais pas, mais ça servirait à rien, parce qu'ils prendraient encore plus de clients, et on aurait encore plus de commandes, et ça reviendrait au même. Après, eux ils s'en foutent, dans les bureaux, ils quittent le boulot à 16h de toute façon.

Et allez, encore la table pleine, faut encore s'arrêter. Tu vas voir, on a pas fini avant 21h, je te le dis. Au fait, tu t'appelles comment, toi ?

Moi c'est Antoine.

Je suis ici depuis 3 ans, en interim, avec l'agence Machin, toi aussi t'es chez Machin ? Ouais, 3 ans, je tape 6 mois ici, et je reviens l'année d'après. Et j'aime autant te dire que si on me propose un poste, moi je refuse. Tout net. Je préfère encore rester intérimaire, jamais je signe ici.

Ah depuis que je suis là, moi je fais que de la banane. Tout le temps, toute l'année.

Ah ça, ils en veulent, de la banane. Je me demande ce qu'ils peuvent en foutre, de tout ça. Tu te rends compte de tout ce qu'on passe, 2.400 colis, rien que pour aujourd'hui ? Le pire, c'est qu'on sait que la moitié va finir à la poubelle. Enfin, vaut mieux pas trop y penser, c'est trop déprimant.

Ben alors, qu'est-ce qui t'arrives ? Tu faiblis ?

Ah t'as faim, t'as pas mangé ? Ah bah il faut manger, surtout pour ce boulot, c'est physique. T'as qu'à aller chercher un truc au distributeur, tu quittes la chaîne cinq minutes, de toute façon, on est déjà en retard, t'as de la monnaie ?

Ou sinon, tu peux te prendre une banane. Tout le monde le fait, de se servir dans la marchandise. Normalement, on a pas le droit, même dans ce qui est jeté. On jette plein de bananes mangeables, mais interdit de se servir, v'la la logique. Mais à cette heure-ci, de toute façon, les chefs sont partis, alors on fait un peu ce qu'on veut.

Moi j'en prends pas. J'en brasse tellement, à force, ça me dégoûte, j'arrive plus à voir ça comme de la nourriture.

Bordel, la table encore pleine, ils font chier. Tu vas voir qu'on va finir à 21h30, avec leurs conneries. Ben moi, j'arrête la machine le temps qu'ils vident, je m'en fout, je fais une pause.

 

Antoine arrête la machine et s'assoit sur les cartons qu'il reste sur la palette. Lui, la banane, il s'asseoit dessus.

Publié dans Portrait

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